Donner la mort ou laisser vivre : Le procès Bonnemaison pose la question de la responsabilité du médecin en termes crus.
L’affaire actuellement en cours de jugement devant la Cour d’Assises des Pyrénées Atlantiques pose crûment la question de la responsabilité médicale: un médecin est il coupable d’empoisonnement sur la personne de patients en fin de vie auxquels il a administré des substances qu’il savait mortifères.
D’habitude, dans les cas de responsabilité médicale, le décès ou les blessures infligées ne sont jamais ou rarement volontaires, mais sont la suite d’une faute technique à l’occasion d’un acte de soin, de prévention, ce qui est parfois, mais rarement, constitutif d’une infraction pénale. Ici, le décès des patients était en lien direct avec le geste du médecin et le but recherché, semble-t-il.
Cependant, cette réalité si brutale pour l’opinion et ceux qui la rapportent, doit être analysée au regard du droit, laissant de côté les affects et réactions épidermiques qu’une telle affaire ne manque pas de susciter.
L’ex-docteur Bonnemaison (il a été radié par son Ordre) est poursuivi pour le crime d’empoisonnement, infraction qui comprend un élément matériel : l’administration de substances mortifères, et un élément moral, qui est le fait d’attenter sciemment à la vie d’autrui.
Il semble que l’élément matériel de l’infraction ne soit pas véritablement en question, car l’administration de substances mortifères semble avérée. En revanche, l’existence de l’élément moral est à établir. C’est cet élément moral que cherche à établir au cours des débats le procureur.
Cela donne cet extrait de dialogue, cru, entre Nicolas Bonnemaison et le Procureur (repris de la chronique judiciaire de Pascale Robert Diard du 13 juin 2014 (http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/).
“– Le Norcuron (un curare qu’il est reproché à l’accusé d’avoir utilisé sur certains patients), ce n’est plus de la sédation ?
– On est là pour mettre fin à une terrible agonie
– Il entraîne bien une paralysie des voies respiratoires ?
– Il entraîne un ralentissement progressif de la respiration.
– C’est-à-dire un étouffement.
– Le patient n’en a pas la sensation.
– Vous êtes bien d’accord que le curare n’est pas autorisé par la loi?
L’un des deux avocats de la défense, Me Arnaud Dupin, se lève d’un bond.
– Quelle loi ?
– La loi qui, dans le code pénal, interdit de tuer, tout simplement.
L’avocat général reprend son questionnement.
– Vous êtes d’accord qu’en injectant du Norcuron, vous allez tuer?
– Mon rôle est de soulager la souffrance.
– Je reformule : si vous injectez du Norcuron à une personne, cette personne va-t-elle ou non mourir ? Oui, elle va décéder.”
Les deux thèses sur les faits s’affrontent en filigrane : le but premier recherché par l’accusé n’était pas le décès de ses patients mais le soulagement de leur souffrance. Le décès est induit mais pas recherché en tant que tel. Dans ces conditions, l’élément moral de l’infraction d’empoisonnement existe-t-il ?
C’est une des questions qu’auront à résoudre les jurés de la Cour d’Assises.
Mais c’est aussi la loi Léonetti qui est ici en question : le cadre qu’elle a institué pour l’accompagnement des patients en fin de vie, qui, rappelons le, laisse aux médecins (c’est une décision collégiale) la responsabilité de la décision de l’arrêt des soins, ne saurait être enfreint.
A noter que seule deux familles se sont portées parties civiles, ce qui signifie que les autres ne s’estiment pas victimes des actes de l’accusé. Elles lui apportent au contraire un soutien officiel et formel. Ces éléments également ne manqueront pas de peser dans la balance.
Chacun aura compris que l’évolution de la société moderne impose de se poser des questions qui n’étaient même pas imaginables il y a quelques années. Une révolution technique qui impose une révolution culturelle, tant chez les soignants que chez les patients.
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