La naissance d’une revendication
Comment la victime appréhende-t-elle sa situation? Le désarroi préside à sa prise de conscience, et une fois la stupeur passée, c’est l’humiliation qui domine avec la panique. « C’est plus qu’un choc”, nous dit Thierry L., qui ressortit aveugle d’une opération sur la mâchoire supérieure. “Je pourrais dire que c’est à la fois l’angoisse et la panique qui m’ont saisi. Le lendemain de l’opération, lorsque l’effet de l’anesthésie s’est estompé, je me suis d’abord rendu compte que je ressentais quelque chose d’étrange, tout à fait inconnu pour moi et qui pouvait avoir des conséquences très graves, malgré les paroles rassurantes de tous les médecins. Quand je suis passé en ophtalmologie, on m’a dit qu’il fallait mettre des compresses sur mes yeux. Je me trouvais toute la journée dans le noir. C’est comme ça que j’ai commencé à me douter que j’avais subi des « dégâts ». Il est certain que c’est plus qu’un choc ».
Mais, alors même que la « victime » subit un dommage corporel avec toutes les répercussions psychiques que cela suppose, il ne faut pas oublier qu’elle en est aussi le témoin.
Et il y aurait de sa part quelque irresponsabilité à se taire. Pour avoir constaté dans sa chair une carence, une erreur ou une faute, la victime qui se tait ne laisse-t-elle pas à l’accident l’occasion de se reproduire ? Ainsi, bon nombre de victimes sont animées par la volonté première d’empêcher que se reproduise l’accident qui les a atteintes ; cela peut même aller jusqu’à souhaiter l’interdiction d’exercer pour le praticien fautif, sans même envisager qu’il puisse s’amender. Ce jugement sans appel ne fait que refléter la profondeur de la confiance déçue. Rappelons-nous les propos de Barbara E, victime d’un coup de bistouri malencontreux : « Alors j’ai pensé très vite qu’il ne fallait pas que ce chirurgien opère à nouveau… Le laisser continuer à exercer c’est exposer potentiellement d’autres individus : peut on se taire dans ce cas ? ». On est alors bien loin du simple désir de vengeance.
On l’a vu, c’est surtout l’attitude du médecin qui va susciter éventuellement ce désir de vengeance. Devant le refus parfois obstiné de tel ou tel médecin de communiquer, tout au moins de façon humaine, sinon sympathique, avec le plaignant, va se faire jour chez ce dernier la volonté de punir ce type de comportement qui lui apparaît à juste titre irresponsable, voire malintentionné, comme le soulignait Barbara E. : « l’erreur est humaine et personne ne peut se vanter de n’en avoir jamais commis. Mais, il aurait pu venir me voir, me dire ce qu’il avait fait, voir comment je pouvais m’en sortir ; enfin, avoir un contact avec moi… Mais cette lâcheté totale ! Ne jamais être venu ; s’en laver les mains (…) C’est en fait le là qu’est venu mon désir de me venger. ».
* Ceci est un extrait de l’ouvrage Enquête sur l’erreur médicale de F. Nativi et F. Robin – Editions de La Découverte – sorti en 1987-