La victime aux mains nues
La victime n’est elle pas dénuée de moyens face à une institution qui se protège ? les hôpitaux considèrent le dossier du malade et les documents y figurant comme leur propriété. Mais en se retranchant obstinément derrière cet état de choses, pour refuser l’accès direct au dossier, les institutions rendent les plaignants d’autant plus agressifs qu’ils sont frustrés d’un droit légitime. Par ailleurs, cette réticence laisse à penser qu’il y quelque chose à cacher, un acte médical fautif, par exemple.
Déçu par le comportement des médecins, le plaignant qui se trouve éconduit et les mains nues à la sortie de l’hôpital n’a plus que la ressource d’en parler à son entourage qui l’incitera la plupart du temps « à ne pas en rester là ». Les conséquences d’un tel encouragement sont rarement mesurées par ceux là même qui le prodiguent. D’autant plus que l’état de victime a pour effet psychologique de créer une sorte de complexe d’infériorité. Cet encouragement risque donc d’engager cette victime dans une revendication peut être sans lendemain.
Le corps médical lui-même, par une attitude paradoxale, peut être amené à jeter de l’huile sur le feu : il suffit d’un : « mais quel est l’abruti qui vous a fait cela ? » pour que le plaignant y voit une confirmation du bien fondé de sa démarche de revendication, fort qu’il est alors de la caution de l’homme de l’art. N’oublions pas l’exemple de Thomas D. lorsqu’il affirmait pour défendre la légitimité de son action que d’éminents médecins lui avaient confirmé qu’ils « ne comprenaient pas qu’un stomatologiste, ou même un simple médecin, puisse faire une erreur pareille, cela leur paraissait absolument inconcevable. »
Dès lors la revendication se précise « Je pense que la souffrance que j’ai ressentie et (…) la hantise de l’avenir représentent quand même quelque chose et j’ai bien l’intention de demander au responsable la réparation des dommages que j’ai subis dans tous les domaines. » pensait Thomas D. « J’en ai parlé autour de moi, nous a dit Barbara E., et petit à petit, l’idée m’est venue de porter plainte. C’est ce que j’ai fait. Je suis allée voir un avocat. »
L’avis de l’avocat pèsera également dans l’appréciation du bien fondé de la revendication. Réunissant les données du dossier médical, il en dégagera les éléments qui lui paraissent objectifs au regard des exigences de la charge de la preuve qui incombe à la victime. L’avocat commencera par demander l’intervention d’un médecin conseil expert afin qu’il donne son sentiment sur la faute. C’est à partir de cet avis médical que l’avocat fera son diagnostic juridique et prendra ainsi position sur l’orientation à donner à l’affaire. Si les éléments du dossier présentent une certaine solidité, il n’aura qu’à soutenir le plaignant en engageant pour lui une procédure amiable ou judiciaire. En revanche pour d’autres affaires où la preuve de la faute est plus difficile à établir, l’avis de l’avocat sera alors déterminant pour le plaignant. Il poussera ou non à la consommation juridique. (…)
Un mauvais diagnostic du dossier ne manquera pas cette fois ci de transformer le plaignant en victime de la justice à défaut de l’être de la médecine. Dans certains cas, l’avocat lui conseillera de choisir la voie pénale pour demander non seulement la réparation de son préjudice, mais aussi la condamnation du médecin qui lui a causé une blessure. Toutefois la plupart du temps, il lui conseillera la voie civile qui limite le procès à la seule demande de condamnation à des dommages et intérêts.
Peut-on dire pour autant que l’animosité envers le médecin mis en cause soit la seule motivation du plaignant vers l’une ou l’autre voie ? Certainement pas. Outre l’avis de l’avocat, d’autres considérations vont interférer dans ce choix ; des considérations liées aux frais de justice, par exemple. Le souci de réparation financière est, la plupart du temps, relégué au second plan. Bien sûr, si sa revendication aboutit, la victime n’est pas mécontente d’être dédommagée. Mais cette satisfaction toujours tardive ne motive que rarement son action.
En définitive, nombreux sont encore les malades qui persistent à faire une confiance aveugle au corps médical sans pour autant renoncer à la revendication en cas d’accident. Mais la véhémence de leur propos est bien souvent à la mesure de la réticence du corps médical à leur donner des explications élémentaires. Aussi, désabusés, ces déçus de la médecine ne tardent-ils pas, pour continuer à satisfaire la nécessité de se soigner, à se tourner vers toutes sortes de médecines parallèles, considérant qu’au moins ces médecines là ne font pas de mal quand bien même elles ne seraient pas véritablement efficaces. Réputées moins dangereuses, ces médecines correspondent mieux aux attentes d’un public qui appréhende le recours à la médecine traditionnelle, jugée à haut risque, et ceci de plus en plus, en raison de sa grande technicité et du nombre imposant de médicaments simultanément prescrits.
Lorsque le risque se concrétise, les victimes n’acceptent plus de se résigner sous le prétexte simpliste de la fatalité, voire plus couramment de changer simplement de médecins. Le plus souvent, elles ne savent pas discerner quels sont les critères juridiques indispensables à réunir pour espérer une issue favorable à leur revendication ; mais une chose est certaine (…) les victimes ne veulent plus entendre parler de « la faute à pas de chance ». D’où la critique fréquente du comportement de tel ou tel médecin, vite assimilé à celui de l’ensemble du corps médical. Synonyme d’abus de pouvoir, le pouvoir médical devient alors la cible privilégiée des victimes et de leurs proches, que les mouvements d’usagers de la santé relaient par vocation.*
* Ceci est un extrait de l’ouvrage Enquête sur l’erreur médicale de F. Nativi et F. Robin – Editions de La Découverte – sorti en 1987-