L’attitude des victimes
La maladie est toujours vécue comme une injustice par celui qui la subit ainsi que par son entourage familial. Que s’ajoute à cela la surprise d’un résultat opposé à celui attendu par le patient, et ce sentiment d’injustice se développera jusqu’à motiver la recherche d’une explication rationnelle permettant d’attribuer le mauvais résultat à la carence humaine.. Au premier rang des suspects on trouvera bien sur le corps médical, surtout si des doutes planent sur la qualité de son intervention. De là à transformer cette frustration en revendication, il n’y a qu’un pas, d’autant plus vite franchi que les médecins concernés négligent de donner des explications que le malade est en droit d’attendre dans ce cas. L’environnement médical dans lequel évolue le malade n’est pas indifférent et peut expliquer son attitude en cas d’erreur.
Laisser entendre que la médecine est, toujours et en tout domaine, en mesure de faire des miracles et que le formidable développement de la science et des techniques médicales et chirurgicales permet de réaliser aisément des interventions tenant de la prouesse ne prépare guère les esprits à l’éventualité de l’erreur ni à sa compréhension.
« Les médias sont dans une certaine mesure responsables de cette conception qui trace généralement un tableau déformé de la toute puissance de la médecine », écrivent à juste titre Jean Judet et Raymond Vilain. Qu’il suffise d’évoquer les présentations journalistiques qui sont faites de la fécondation in vitro : le public n’y découvre que les aspects merveilleux. Mais les difficultés, les échecs, les dangers techniques et psychologiques n’y sont guères exposés. Cet exemple nous rappelle que le dommage qui peut résulter de l’intervention médicale dépasse la stricte relation médecin malade : car la victime potentielle affirmera d’autant plus sa revendication que le résultat n’aura pas été à la hauteur de son attente.
Le patient doit s’efforcer de rester lucide et garder présent à l’esprit que le recours à la médecine n’est jamais sans risque. Ceux qui ont subi quelque fâcheux accident montrent, dans la majorité des cas, une attitude digne, conscients qu’ils sont de l’extrême difficulté de l’acte médical. Refusant la fatalité, leur première réaction après l’accident est bien souvent une simple demande d’explication pour en connaître la cause. Avec un sens aigu des responsabilités, ils ne demandent qu’à être traités en « adulte ». On en veut pour preuve les réponses formulées à l’occasion d’un sondage sur la responsabilité médicale, commandité par un organe de formation des médecins, le concours médical, associé pour la circonstance avec le Figaro, et réalisé par la SOFRES en 1985.
A la question : « si à la suite du traitement d’un médecin, vous estimez avoir été mal soigné quelle serait votre décision ? », 70% des personnes interrogées répondent : « Je chercherais à en savoir plus pour comprendre ce qui s’est passé » ; 11% « je chercherais à obtenir réparation du préjudice que j’ai subi ; 6% : « Je chercherais à faire sanctionner le médecin » ; 10 % : « Je ne ferais rien de spécial ; 3% n’ émettent aucune opinion.
Mais qu’ils ne trouvent en face d’eux que fuite devant la responsabilité, silence gêné, voire agressivité » du médecin mis en cause et c’en est fait de leur réserve.
Dans ces circonstances, l’abstention du corps médical, qui est loin d’être exceptionnelle, fait naître alors une réaction fort compréhensible qui suscite la revendication, la décuple et peut aller jusqu’à la rendre aveugle.
On ne peut pas dire que cette attitude traduise une animosité latente à l’égard du corps médical. Pour en revenir au sondage précité, à la question : « D’une manière générale diriez vous que les médecins manifestent à l’égard des patients un sens des responsabilités ? », 86 % des personnes interrogées répondent positivement : « extrêmement important » ( 9%), « très important » (36%), « important mais sans plus » (41%). 10 % seulement répondent : « Pas très important ». On est bien loin de l’image du malade déterminé à « bouffer » du médecin, même s’il faut tenir compte di fait que ce type de sondage est adressé à l’homme de la rue, a priori non concerné par la faute médicale.
Ce n’est donc généralement que devant une attitude de fuite de la part du médecin concerné que la victime prendra, parfois en désespoir de cause, l’initiative d’une procédure.
* Ceci est un extrait de l’ouvrage Enquête sur l’erreur médicale de F. Nativi et F. Robin – Editions de La Découverte – sorti en 1987-