Le triomphe du contrat
Par un contrat, une partie s’oblige à fournir une prestation au bénéfice de l’autre partie, laquelle en retour doit s’en acquitter par sa propre prestation, la plupart du temps sous forme de rémunération. Le Code Civil dispose dans son article 1101 que « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à (…) faire (…) quelque chose ». Ce même code dans son article 1142 précise en outre qu’en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution « toute obligation (…) se résout en dommages et intérêts (…) ».
Si c’est bien un contrat qui lie le médecin à son patient, il y a la place alors pour une contestation par le malade : le contrat peut avoir été bien ou mal exécuté.
Ce contrat n’a pas besoin d’être formalisé par un écrit. Il existe dès l’instant où le médecin a accepté de prescrire ou de pratiquer un acte médical sur le patient qui vient le consulter. Par l’adoption de l’idée simple de contrat médical, la jurisprudence a mis face à face sur un pied d’égalité, les deux parties au contrat. Dans ces conditions, si l’une des parties est mécontente des prestations de l’autre, un recours devant le juge est possible comme pour n’importe quel contrat. On comprend sans peine la menace qui pèse sur le corps médical à se voir ainsi réduit au rôle de simple partie contractante.
Longtemps, un déséquilibre a existé entre les parties à ce contrat médical. Il était imputable pour une part à l’inégalité sociale qu’on observait souvent entre le médecin et son malade ; et cette inégalité était accentuée par la prééminence du savoir du médecin. Ce déséquilibre a toutefois été corrigé partiellement par une élévation du niveau social et culturel moyen de la population. La position sociale et la compétence technique du médecin ne sont plus pour lui un gage d’impunité.
La première décision de justice qui met en lumière l’existence d’une relation contractuelle entre médecin et patient date de la première moitié du XIX siècle. La question posée aux juges n’avait rien à voir avec le problème de la responsabilité du médecin. Il s’agissait de savoir, en effet, si l’engagement qu’avait pris le médecin de soigner une patiente « pendant toute la durée de la vie de celle-ci » pouvait être considéré comme valable. Le 21 août 1839, la Cour de Cassation se prononce et décide que le médecin pouvait se lier dans ce cadre. Elle précise du même coup que cet engagement est une convention : « Un médecin peut (…) s’engager (…) sans que cette convention puisse être annulée pour cause illicite. ». Le mot est lâché. Pour la première fois le terme de « convention » est utilisé pour qualifier la relation du médecin avec son patient. Mais cette décision passera totalement inaperçue.
Un siècle plus tard, elle retrouvera une actualité. Le juge fixe alors sans équivoque l’obligation qui pèse sur le médecin au regard du droit. L’arrêt Mercier constitue l’acte de naissance de la «responsabilité contractuelle » du médecin.
Cette affaire commence au mois d’août 1925. Mme Mercier qui souffre d’une affection du nez accepte de subir un traitement par les rayons, qui déclenchera malheureusement chez elle une radiodermite évolutive. Elle engage un procès contre le médecin. Pour obtenir gain de cause, elle devra aller jusqu’à la Cour de Cassation. La Cour suprême à l’occasion de cette affaire franchit enfin le pas décisif et met un terme à son hésitation : « Il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat. ».
La Cour de Cassation fixe ainsi le droit en matière de responsabilité médicale pour une longue période.
La rédaction minutieuse des attendus de cet arrêt démontre que la Cour a voulu rendre un arrêt de principe. Avec beaucoup de clairvoyance elle énonce une définition très précise des obligations du médecin, encore valable aujourd’hui. Le contrat comporte pour le praticien l’obligation de donner à son patient des « soins non pas quelconques mais consciencieux, attentifs et (…) conformes aux données acquises de la science ». Si cette obligation est violée, même de façon involontaire, le médecin est responsable sur le plan civil du préjudice causé au patient et lui doit réparation sous forme de dommages et intérêts.
Cette responsabilité civile n’exclut pas que le médecin puisse être poursuivi en cas de « blessures ou homicides involontaires » devant la juridiction pénale. La responsabilité pénale du médecin a une « source distincte » de la responsabilité civile contractuelle puisqu’elle se fonde sur « un fait constitutif d’une infraction à la loi pénale ».
Aujourd’hui l’existence du contrat liant le praticien et le patient semble être une idée admise même pour le profane. Mais l’on s’imagine mal ce qu’il fallut d’audace aux magistrats de 1936 pour adopter une position qui heurtait ainsi de front les mentalités. L’impunité du médecin et son irresponsabilité constituaient des données qu’il était inconcevable de voir remises en question. L’exercice paisible de l’art médical était au prix, disait on, de cette impunité. Le chirurgien devenu écrivain Georges Duhamel prédisait en 1934 que « la multiplication des procès » serait un « phénomène capital pour l’évolution de la médecine ».Il voyait juste. L’arrêt Mercier inaugure donc en 1936 l’ère de la modernité en matière de droit médical. Il sonne le glas d’une certaine conception archaïque de la fonction médicale. Plusieurs décennies seront cependant nécessaires pour parfaire cette évolution amorcée.
* Ce passage est extrait de l’ouvrage Enquête sur l’erreur médicale de F. Nativi et F. Robin – Editions de la Découverte 1987-la notion de contrat médical a continué d’évoluer depuis l’écriture de ces lignes tant par la jurisprudence que par l’intervention de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients