L’état de victime
… il ne suffit pas de s’estimer victime pour être reconnue comme telle. Dans ce domaine l’appréciation personnelle du patient est mauvaise conseillère. C’est en effet à la justice et à elle seule, de définir l’état de la victime, quelle que soit la capacité de l’institution judiciaire à faire coïncider sa vérité avec l’authenticité des faits. C’est elle qui décidera au terme d’une procédure souvent longue, douloureuse et coûteuse. Seule la vérité judiciaire s’imposera. Gardons-nous donc de qualifier de «victime» tous ceux qui estiment l’être et qui sont, avant que la justice ne tranche, de simples «plaignants ».
Le patient qui constate que l’acte médical qu’il a subi, loin de lui avoir apporté le mieux être qu’il escomptait, n’a pas amélioré son état, voire l’a aggravé, doit savoir que la responsabilité du médecin n’est pas automatiquement engagée.
Procédant d’une appréciation subjective, la notion de victime dépend aussi de la personnalité de celui qui estime avoir subi un préjudice. Point n’est besoin d’être obsessionnel pour mener une revendication en justice, mais il est certain qu’un tel caractère rend la chose plus aisée, tant il peut être difficile de mener à son terme une procédure engagée. Bien sûr, certaines fautes sont incontestables, au point qu’elles prêtent couramment à la dérision, comme l’opération pratiquée sur le côté du corps qui n’est pas atteint par la maladie.
A l’opposé, prétendre que les effets secondaires d’une chimiothérapie chez un cancéreux condamné sont la cause de son décès, relève d’un esprit quelque peu procédurier. La tentation est alors de vouloir imputer à la médecine l’injustice de la maladie, voire de faire de l’argent avec le malheur. Cet état d’esprit tend il à se répandre? Nous ne le pensons pas pour ce qui concerne la France ; il n’en va pas, fort heureusement, dans le domaine de la médecine comme dans celui de l’assurance automobile, où la mentalité qui consiste à faire payer l’assurance est plus répandue.
Dans ce domaine essentiel qui touche à la vie et à la mort, chacun sait instinctivement dans quel état de dépendance se trouve le malade et sa famille devant ce « grand sorcier » qu’est le médecin, capable, croit-on, de conjurer le mauvais sort de la maladie. Cette supplique parfois désespérée qui est adressée au médecin place d’emblée le malade en état d’infériorité et de dépendance vitale. Ce dernier cherche à capter l’attention bienveillante du médecin, si possible jusqu’à l’affection : dans ce but, aucun comportement n’est indigne, car l’objectif est de réussir à motiver le médecin afin qu’il accueille favorablement la prière qui lui est faite, dans l’espoir que cela hâtera la guérison. La contrepartie de cette attitude empreinte d’humilité est la quasi obligation pour le médecin de réussir. Qu’il n’y parvienne pas, et se déchaîne alors contre lui l’exact contrepoids de la soumission, qui a pour nom révolte, et dont l’intensité est à la mesure de l’espoir déçu.
* Ceci est un extrait de l’ouvrage Enquête sur l’erreur médicale de F. Nativi et F. Robin – Editions de La Découverte – sorti en 1987-