Prescrire et administrer la CHLOROQUINE pour le traitement du COVID 19 engage-t-il la responsabilité du médecin en cas de dommage ?
Un médecin qui aujourd’hui prescrit de la Chloroquine pour le traitement COVID 19 engage-t-il sa responsabilité ? La question se pose au sujet de l’utilisation à Marseille par un Professeur de médecine reconnu, du médicament dont on sait qu’il n’a pas encore fait l’objet d’essais cliniques, pour le traitement du COVID 19.
La réponse à ce jour, est oui, dans l’état actuel de notre droit, qui peut cependant évoluer de jour en jour à ce sujet, et nonobstant l’état d’urgence sanitaire déclaré.
Pe plus, répondre à cette question de la responsabilité du médecin dans ce cas, permet d’y voir un peu plus clair dans la polémique actuellement en cours au sujet de ce traitement. Pour tenter de maitriser l’actualité, rappelons les dispositions de la loi et du règlement applicables. Avant même le vote de la loi créant l’état d’urgence sanitaire et autorisant notamment le gouvernement à légiferer par ordonnances, il existe un cadre législatif applicable en cas de menace sanitaire grave ou d’épidémie.
Le cadre législatif applicable en cas d’épidémie et de menace sanitaire grave
Bien avant l’épidémie de COVID 19, en 2007, une loi (la loi n°2007-294 du 5 mars 2007 – art. 1 JORF 6 mars 2007 en vigueur le 29 août 2007) a été adoptée, en vue de la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur.
Cette loi intégrée dans le Code de la Santé publique dans sa partie relative à la « lutte contre les épidémies et certaines maladies transmissibles », a aujourd’hui trouvé application.
Elle prévoit la création d’un cadre législatif en cas de « menace sanitaire grave », dont la menace d’épidémie fait partie.
Le Gouvernement a ainsi notamment, pris les mesures d’urgences actuellement applicables, en particulier sur le confinement, sur le fondement de ce texte notamment l’article 3131-1 du Code de la Santé Publique :
« En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. »
C’est également en application de cette loi que chaque établissement de santé a dû se doter d’un « plan d’organisation des soins détaillant les mesures à mettre en œuvre en cas d’événement entraînant une perturbation de l’organisation des soins, notamment lors de situations sanitaires exceptionnelles ».
Ce cadre législatif prévoit aussi que la menace sanitaire grave, écarte l’application des règles de la responsabilité des médecins et fabricants de médicaments dans certains cas et à certaines conditions.
Les règles de responsabilité médicale sont assouplies en cas de menace sanitaire grave
Pour bien comprendre il faut rappeler les conditions de droit commun de la responsabilité médicale.
En termes simples, il faut rappeler que le médecin dans le droit commun, engage sa responsabilité s’il commet une faute, qui est en relation de causalité directe avec un dommage éprouvé par un patient. C’est la trilogie de la responsabilité qui suppose que soient réunis trois éléments : une faute, un dommage et un lien de causalité directe entre les deux.
Ainsi, un médecin qui administre ou prescrit un médicament en dehors des indications thérapeutiques de ce médicament commet une faute, qui si elle est en relation de causalité directe avec un dommage subi, par exemple un décès, engage sa responsabilité.
La situation actuelle d’épidémie modifie t elle l’application de cette règle ?
La réponse est oui, mais à certaines conditions.
Une exonération de responsabilité soumise à deux conditions cumulatives
Le Code de la Santé Publique prévoit en effet expressément la situation actuelle d’une maladie sans traitement, et l’utilisation de médicaments d’habitude utilisés pour d’autres maladies.
C’est le cas actuellement avec la CHLOROQUINE médicament antipaludéen dont l’administration est préconisée et réalisée actuellement à marseille pour soigner le COVID 19 en association avec un antibiotique.
Dans ce cas, la loi prévoit dans le chapitre des « mesures d’urgence » qu’un médecin agissant dans le cadre d’une menace sanitaire grave n’engage pas sa responsabilité même s’il administre un médicament en dehors des indications thérapeutiques ou des conditions d’utilisation normales.
Cette exonération de la responsabilité vaut aussi pour le fabricant du médicament et pour le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché.
Les deux conditions cumulatives
Cependant cette exonération de la responsabilité est soumise à deux conditions cumulatives qui sont exposées à l’article 3131-3 du Code de la Santé publique :
«(…) les professionnels de santé ne peuvent être tenus pour responsables des dommages résultant de la prescription ou de l’administration d’un médicament en dehors des indications thérapeutiques ou des conditions normales d’utilisation prévues par son autorisation de mise sur le marché ou son autorisation temporaire d’utilisation, ou bien d’un médicament ne faisant l’objet d’aucune de ces autorisations, lorsque leur intervention était rendue nécessaire par l’existence d’une menace sanitaire grave et que la prescription ou l’administration du médicament a été recommandée ou exigée par le ministre chargé de la santé en application des dispositions de l’article L. 3131-1. »
La première condition est donc l’existence d’une menace sanitaire grave, et la deuxième condition est que le Ministre aura recommandé voire exigé la prescription de ce médicament en dans le cadre des mesures d’urgences prescrites en cas de menace sanitaire grave.
Ainsi, et à ce jour, pour ce qui concerne la prescription de la CHLOROQUINE, une seule des deux conditions est remplie : l’existence de la menace sanitaire grave.
En revanche, le Ministre chargé de la Santé à ce jour n’a pas recommandé ni exigé la prescription du médicament.
Dans ces conditions, les règles du droit commun de la responsabilité s’appliquent et les médecins prescrivant la chloroquine en dehors des indications thérapeutiques sont effectivement susceptibles d’engager leur responsabilité, en cas d’affection iatrogène entrainant un dommage pour un patient.
Le Droit aime les nuances, et il faudrait néanmoins examiner au cas par cas, la situation d’engagement d’une telle responsabilité.
Par exemple la prescription de la CHLOROQUINE à titre compassionnel c’est à dire en dernière analyse devant un tableau désespéré, ne saurait engager la responsabilité du médecin, dans la mesure où il n’y a pas d’alternative pour le patient, et où son décès étant inéluctable, le lien de causalité directe entre la faute et le dommage manquerait alors.
Cet éclairage de la loi permet de comprendre aussi pourquoi le laboratoire SANOFI qui se dit prêt à produire et livrer le médicament, à titre gratuit, ne l’a pas encore fait : il attend soit le résultat des essais thérapeutiques, ce qui pourra prendre plusieurs semaines, ou alors la recommandation du ministre de la Santé, ce qui n’est pas le cas à ce jour.
Mais la situation évolue de jour en jour, voire d’heure en heure, et tout cela peut changer.
Naturellement, si le résultat des essais entrepris sont concluants, la question de la responsabilité ne se posera plus, car alors il existera une nouvelle indication thérapeutique reconnue de ce médicament.